De Jürgen Habermas à Nancy Fraser : Vers
une transnationalisation de l’espace
public
Kamal Boumenir
Université Alger2
Jürgen Habermas[1]
est considéré comme le représentant de la deuxième génération de l’Ecole de
Francfort, groupe d'intellectuels allemands réunis autour de l’institut de
recherches sociales fondé à Francfort–sur-le-Main en 1923 .Cette école
philosophique interdisciplinaire rassembla de nombreux philosophes, parmi
lesquels Max Horkheimer, Theodor W. Adorno, Walter Benjamin et Herbert Marcuse,
qui ont développés une analyse critique
du monde social totalement intégré à un système de domination rationalisé, susceptible
de servir comme moyen intellectuel afin de transformer la société et de dépasser
les multiples formes de domination. Si elle ne forme pas une entité doctrinale homogène, l’Ecole de Francfort a développée une « théorie critique » en
s’interrogeant notamment sur le lien entre l’emprise croissante de la Raison
instrumentale et les évolutions
politiques et sociales du 20ème
siècle (national-socialisme, fascisme, totalitarisme, etc.) qui a conduit notre monde contemporain à l’enfermement bureaucratique et à
l’aveuglement et l'emergence des nouvelles formes de domination. La dialectique de la
Raison, publiée en 1947, et rédigée en collaboration entre Horkheimer et
Adorno, est une critique radicale de la rationalité instrumentale. Pour
Habermas, cette analyse reste unilatérale et n’est guère à même de
diagnostiquer les mutations de l’espace social Provoquées par les nouvelles
technologies de l’information et de la communication. C’est dans ce contexte
que Habermas rompt avec la critique radicale de la rationalité de la «première» théorie
critique qui a subi -selon Habermas- une forte influence de la philosophie de Nietzsche . À la rationalité (instrumentale) qui évalue les moyens ou les règles
techniques les plus appropriés pour réaliser une fin déterminée, il oppose la
« rationalité communicationnelle » inhérente à la socialisation
langagière et qui fondée sur le l’interaction entre les individus et non plus
sur la seule rationalité instrumentale ou technique liée au travail et la
domination de la nature[2].
Cela suppose le recours à la notion de l’espace
public, notion qui constitue un élément central de la théorie politique et
sociale d' Habermas.
Dans l’Espace Public. Archéologie de la
publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise (1962), Jürgen Habermas a analysé la constitution historique
d’un espace de discussion et de communication intersubjective, par opposition au système de fonctionnement de l’autorité de l’Etat. Selon Habermas, l’espace
public désigne un espace ouvert aux individus, dans les sociétés modernes, où
la participation politique passe par le médium du langage et de la
communication. C’est l’espace où ces individus débattent de leurs affaires
communes, une arène institutionnalisée d’interactions discursive. D’un point de
vue conceptuelle, cette arène est distincte de l’Etat, car il s’agit d’un lieu
de production et de circulation de discours qui peuvent, en principe, être
critique envers l’Etat[3],
c’est un lieu où les les opinions et les aspirations des individus peuvent se
constituer et se manifester en pôle de résistance au différentes formes de
domination , pour Habermas, l’espace public est la voie par laquelle ces
individus se donnent ensembles les moyens de devenir des sujets conscients et
agissants de façon rationnelle afin
qu’ils puissent promouvoir une vie sociale qui entraine l’effacement de la
domination, sous sa figure étatique essentiellement. L’espace public est donc caractérisé
par la présence des individus et personnes faisant usage de leur
raison, « c’est le processus,
au cours duquel le public faisant usage de leur raison s’approprie la sphère
publique contrôlée par l’autorité et la transforme en une sphère où la critique
s’exerce contre le pouvoir de l’État"[4].
Cet usage public de la raison implique la création d’un espace partagé de
discussion et de réflexion et permet de donner une portée politique à cet
espace qui ne peut remplir sa fonction qui est de percevoir et de formuler les
problèmes qui affectent la société dans son ensemble, que dans la mesure où il
se constitue à partir des contextes de communications des individus concernés.
Au chapitre VIII de son ouvrage Droit et
démocratie. Entre faits et normes, Habermas a réactualisé sa théorie de
l’espace public, après son analyse de la société bourgeoise ,il ajuste ses
réflexions au cadre de la société médiatique, il définit cet espace public
comme « réseau permettant de communiquer des contenus et des prises de
positions, et donc des opinions ; les flux de la communication y sont
filtrés et synthétisés de façon à se condenser en opinions publiques regroupés
en fonction d’un thème spécifique »[5].
Habermas rappelle que « dans les situations de crise, les acteurs de la
sphère publique, qui paressent le reste du temps écrasés par les mass médias,
manipulés et privés de recul critique, réapparaissent au premier plan et sont
capables d’assumer subitement un rôle étonnent actif. On sait que les thèmes débattus dans les années
quatre-vingt et quatre vingt-dix (le nucléaire, la recherche génétique, les
questions d’écologie, l’appauvrissement du tiers-monde, le féminisme, les
problèmes ethniques et culturelles, etc.) ont été lancés par les acteurs de la
sphère publique et la société civile et non pas le système politique lui-même »[6].
Repenser l’espace public avec Nancy Fraser:
« Proche de Habermas, Nancy Fraser a
d’abord acquis une notoriété avec son commentaire critique de l’œuvre de
celui-ci »[7]. Contre
la perspective défendue par Habermas d’un espace public unique, coextensif à la
société, elle introduit l’idée d’espaces publics transnationaux, il s’agit de
parvenir –selon Fraser- à repenser l’espace public, en s’appuyant et en
contrant, à la fois la conception que défend Habermas théoricien de l’espace public. Selon Fraser
cette conception se heurte à une
difficulté majeure, cependant. Depuis sa formulation, pour la première fois
dans l’Espace Public en 1962, la théorie de l’espace public a toujours
été implicitement nationaliste ; elle a toujours tacitement supposé un cadre
national. Ce qui faisait de l’idée de la sphère public d’Habermas un concept
clé était l’hypothèse tacite que l’arène dans laquelle elle peut obtenir une
force politique correspondait à un état territorial limité. Ce n’est que très récemment que les fondements
nationalistes de cette théorie ont été problématisés. L’importance croissante
des phénomènes transnationaux associés à la mondialisation-qui est un fait
caractéristique majeur de l’époque actuelle- au multiculturalisme, au postcolonialisme ,
etc., a rendu possible, et nécessaire,
une reformulation de la théorie de l’espace public dans un cadre transnational.
Le résultat de cette transformation est un défi sérieux à la théorie de la
sphère public, comme elle a originellement été développée par Habermas, et nous
placent –selon Fraser-devant une question difficile : le concept d’espace
public est-il si fondamentalement nationaliste dans sa structure conceptuelle
profonde qu’il n’est pas possible d’en
faire un instrument critique pour penser le présent ? Ou bien peut-il être
reconstruit dans un cadre transnational ?
Nancy Fraser, dans un souci
d’approfondissement critique de la théorie Habermasienne de l’espace public,
s’est attelée à la tâche d’analyser le cadre national implicite de cette
théorie, selon Fraser, elle reposait sur six présupposés, tous implicitement
nationaux :
1.
L’espace public était tacitement associé à un appareil étatique national qui
exerce un pouvoir souverain sur un territoire limité et ses habitants.
2. L’espace public était
tacitement associé à une économie nationale territorialement délimitée,
légalement organisée et sujette en principe à une régulation étatique[8].
3. L’espace public était
tacitement associé à un corps de citoyens résidant sur le territoire national
et partageant un ensemble d’intérêts généraux (nationaux), eux-mêmes constitués dans une large mesure par
l’économie nationale et centrés sur
celle-ci.
4. L’espace public était tacitement associé à une
langue nationale, qui constitue le medium de communication de l’espace
public[9].
5. L’espace public était
tacitement associé à une littérature nationale, qui constitue le medium
de formation st de reproduction d’une orientation subjective (nationale) vers
une communauté imaginaire (nationale)[10].
6. L’espace public était
tacitement associé à une infrastructure nationale de communication, une presse
nationale puis un réseau national de médias de diffusion.[11].
Afin d’approfondir la théorie de l’espace
public, Nancy Fraser estime qu’un réexamen de ces présupposées implicites qui
encadrent la théorie Habermassienne s’impose : il faut passer –selon
Fraser- du cadre national implicite de la théorie traditionnelle de l’espace
public à la notion d’ « espaces publics transnationaux » afin de
dépasser les limites de cette théorie.
Chacun des six présupposées fait problème et se heurte à ces difficultés
majeures :
-En ce qui concerne la
souveraineté étatique nationale, plusieurs évolutions rendent problématique le
présupposé d’un Etat national souverain, défini et limité sur le plan
territorial, qui était censé être le destinataire de la communication au sein
de l’espace public. La souveraineté, qui n’est plus unifiée en lieu institutionnel unique, est en cours de
décomposition et de désagrégation, éclatée en des fonctions distinctes assignée
à plusieurs.[12]
Selon les théoriciens de la
souveraineté (Machiavel, Hobbes, Hegel, Bodin) l’Etat n’est pas soumis à aucune
forme de pouvoir supérieur, et par conséquent il empêche toute limitation de
son pouvoir, tant à l’intérieur que vis-à-vis d’autres Etats.
En
outre, on constate l’émergence d’une nouvelle structure de souveraineté à
niveaux multiples, au sein duquel le pays ne représente qu’un niveau parmi
d’autres (la banque mondiale, le fond monétaire international, le forum
économique mondial, etc.,)
Il
en résulte qu’aujourd’hui les Etats nationaux ne jouissent pas d’une
souveraineté indivisible sur des territoires et l’ensemble des citoyens
clairement délimités. Le résultat du changement de la notion de souveraineté de
l’Etat national est –selon Fraser- un défi sérieux à Habermas. Ce qui faisait
de la notion de sphère public un concept clé, c’est l’idée fondamentale que
l’arène dans laquelle l’opinion publique circule et dans laquelle elle peut obtenir une force
politique correspondait à un état territorial .Ainsi, la sphère public pouvait
servir de contrepartie de la société civile à l’Etat démocratique existant et
contrecarrer les formes de domination étatique[13].
Mais, dans le contexte des changements structurels de l’état moderne et
l’importance croissante des phénomènes transnationaux associés à la
mondialisation,-selon Fraser- cette sphère public « critique »
s’évapore et le recours au cadre de l’Etat territorial national est ainsi
particulièrement susceptible d’engendrer à une perspective politique
déformée .
-Le présupposé d’une économie
nationale censée constituer le principal objet de préoccupation au sein de
l’espace public, devient problématique –selon Fraser- il n’y à citer les firmes
et les compagnies transnationales, les marchés mondiaux, les sociétés
multinationales, pour comprendre la fragilité des contrôles de l’Etat national
de son économie. Si la communication au sein de l’espace se préoccupe largement de la gestation étatique de
l’économie nationale, elle ne peut aujourd’hui assurer la fonction de produire
l’intérêt général (..) et d’utiliser la politique pour maitriser les marchés,
puisque les processus qui gouvernent les relations économiques débordent le
cadre national[14].
-
En ce qui concerne le présupposé d’un corps national de citoyens, censé
constituer le sujet de la communication au sein de l’espace public, Fraser
rappelle que « l’importance accrue
de phénomènes tel que les migrations ,les diasporas, les dispositions
permettant une double nationalité, l’appartenance à une communauté indigène, et
les modèles de lieux de résidences multiples, tournent en ridicule la prémisse
d’un corps national de citoyens, exclusif, se démarquant fortement de ce qui
l’entoure, et résidant sur le territoire national »[15],
et si les sujets de la communication au sein de l’espace public doivent être
conationaux et concitoyens, alors une telle communication ne peut plus remplir
sa fonction classique de mobilisation afin d’exercer un contrôle démocratique
sur les pouvoirs[16].
- Le présupposé de la langue nationale,
censé constituer le medium de communication de l’espace public devient,
dans le contexte de la mondialisation, également problématique, nous dit
Fraser. La langue reste une ligne de fracture politique, menaçant de faire exploser
des pays comme la Belgique ou le Canada, dans le même temps, l’anglais s’est
établi comme langue transnational du commerce mondial et du divertissement de
masse. Il en résulte que si les espaces publics étatiquement délimités sont
monolingues, ils échouent à constituer une communauté inclusive de
communication rassemblant tous les citoyens, il est difficile alors de
comprendre comment les espaces publics peuvent constituer un contre-pouvoir
démocratique face à l’Etat[17].
-
Toujours dans la perspective de son commentaire critique de la notion d’espace
public, telle que formulée par Habermas, Fraser rappelle : « qui
‘il est difficile d’accorder une primauté conceptuelle au genre de formation
culturelle littéraire (nationale) perçue comme Habermas comme le soubassement
de la posture subjective des interlocuteurs de l’espace public. » conséquences
de l’importance accrue de l’hybridité culturelles, qu’illustre par exemple
l’essor d’une « littérature mondiale », également l’essor d’un
divertissement de masse mondialisé de type américain. C’est justement pourquoi
il difficile d’admettre –selon Fraser-que les espaces publics requièrent le
soutien culturel d’une identité nationale ,fondée sur une culture nationale[18].
-
le sixième supposé qui se heurte à une difficulté majeure concerne l’infrastructure
nationale de communication. Fraser montre d’une façon convaincante qu’on peut
relever le processus de concentration croissante de la propriété des médias
dans les mains de compagnies transnationales, et que les technologies de
l’information électroniques, qui permettent une communication transnationale
directe, échappant aux contrôles nationaux. Ces transformations marquent la
dénationalisation des réseaux nationaux de médias de diffusion. L’opinion
publique transnationale circule au mépris des frontières avec les réseaux
d’information des médias mondiaux qui déterminent qui est inclus dans les
circuits de l’espace communicationnel et qui est exclu[19].
Ces
changements soulèvent la question de savoir s’il est concevable que les espaces
publics remplissent aujourd’hui les fonctions politiques démocratiques
auxquelles ils ont traditionnellement été associés. Par exemple, peut-on
concevoir aujourd’hui des espaces publics capables de former et mobiliser l’opinion publique ? Quels
types de changements (institutionnels, économiques, culturels et
communicationnels) seraient nécessaires pour les espaces publiques
transnationaux dans les conditions actuelles ?
En l’absence de transformation
institutionnelle majeure, les espaces publics transnationaux ne peuvent assumer
les fonctions émancipatrices de démocratisation qui sont la raison d’être de la
théorie de l’espace public[20].
Par exemple, lors des manifestations mondiales en 2003 contre l’invasion des
troupes américaines en Irak une forme d’espace public transnational s’est
développé, malgré ces manifestations, les troupes américaines ont envahis
l’Irak, car il n’existait pas de pouvoir public transnational institutionnalisé
qui puisse rendre l’espace public efficace. Ce qui est fondamental –selon
Fraser- c’est que « les mouvements transnationaux, comme les publics, sont
des contre-pouvoirs. Ils ne peuvent produire d’effets que si existent des
pouvoirs souverains institutionnalisés qui peuvent être contraints à agir en
fonction de l’intérêt général »[21]
.
Concluons que l’espace public tel que le
décrit Habermas n’est pas adapté –selon Fraser- à la situation historiquement
nouvelle, à l’ère de la mondialisation, et qu’il impératif de remettre en cause
le cadre national implicite de la théorie
Habermassienne , qui a rendu possible
une reformulation de la théorie de l’espace public dans un cadre
transnational, en commençant par analyser les présupposés implicites nationaux
de la théorie de l’espace public. Le propos de Fraser était d’insister sur la
nécessité d’un changement institutionnelle , ce qui est fondamental, c’est que
les espaces publics transnationaux peuvent contribuer à l’émancipation, et que
cette évolution représente un progrès démocratique par rapport aux régimes
politiques[22].
Références
[1] Jürgen Habermas est né
à Düsseldorf (près de Cologne) en 1929.
Ancien assistant d'Adorno à
l'Institut des recherches sociales de l'Université de Francfort de 1956
à 1959. Il succède à Max Horkheimer en tant que professeur de philosophie et de
sociologie en 1964. À plusieurs reprises, dans son œuvre, il critique les
thèses développées par les représentants de la première génération ( Horkheimer
et Adorno) au sujet de l’instrumentalisation du monde social. Sa renommée est
internationale. Habermas prend sa retraite en 1994 mais reste professeur
émérite de l'Université de Francfort.
[2]
Jürgen Habermas, Théorie de l’agir
communicationnel. Tome I : Rationalité de l’agir et rationalisation
de la société, trad. J.M.Ferry, Paris, Fayard, 1987, p 38.
[3] Nancy Fraser,
« Repenser l’espace public : une contribution à la critique de la
démocratie réellement existante », in E. Renault et Y. Sintomer (dir), Où
en est la théorie critique ?, La découverte, Paris, 2003, p
105.
[4] Jürgen
Habermas, l’Espace Public. Archéologie de la publicité comme
dimension constitutive de la société bourgeoise, traduit par M.B.de
Launay, Payot. Paris, 1978, p 61.
[5] Jürgen
Habermas, Droit et démocratie. Entre faits et normes,
traduit de l’allemand par R.Rochlitz et C.Bouchindhomme, Paris , Gallimard, ,1997,p
387.
[6] Alexandre
Dupeyrix, La conception de la citoyenneté chez Jürgen Habermas, thèse de
doctorat, université de Lyon II, p 227.
[7]
Frederique Giraud, Repenser la reconnaissance avec
Nancy Fraser, http://jus-tunsi.e-monsite.com/pages/philosophie/nancy-fraser-qu-est-ce-que-la-justice-sociale-reconnaissance-et-redistribution.html.
[8]
Nancy Fraser, qu’est-ce que la justice
sociale ? Reconnaissance et redistribution, p 147.
[9]
Nancy Fraser, qu’est-ce que la justice
sociale ? Reconnaissance et redistribution, p148.
[10]
Nancy Fraser, qu’est-ce que la justice
sociale ? Reconnaissance et redistribution, p.148.
[17] Nancy
Fraser, qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution
,p 154.
[18]. Nancy Fraser, qu’est-ce que la justice
sociale ? Reconnaissance et redistribution , 154.
[19]
Nancy Fraser, qu’est-ce que la justice
sociale ? Reconnaissance et redistribution ,155.
[20] Nancy Fraser, qu’est-ce que la justice
sociale ? Reconnaissance et redistribution. p 153.
[21] Nancy
Fraser, qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution,
p 157.
[22]. Nancy Fraser
« Repenser l’espace public : une contribution à la critique de
la démocratie réellement existante », in : E. Renault et Y.Sintomer
(dir), où en est la théorie critique ? Paris, La Découverte,
2003, p 130
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